Le mariage est aujourd’hui souvent perçu comme l’expression d’un lien amoureux et intime entre deux individus. Pourtant, pendant l’essentiel de l’histoire humaine, il n’avait rien à voir avec l’amour. Né d’un besoin d’organisation sociale, de filiation et de transmission, le mariage s’est peu à peu transformé au fil des siècles pour devenir le symbole romantique que nous connaissons.
Avant l’invention de l’agriculture, les sociétés humaines vivaient en petites communautés nomades.
Les unions existaient déjà, bien sûr, mais elles étaient flexibles, informelles et communautaires.
Il n’y avait ni propriété privée, ni héritage à organiser, ni nécessité de certifier la filiation.
Les enfants appartenaient en quelque sorte au groupe entier, et la survie collective primait sur la notion de couple.
Avec la révolution néolithique (entre -10 000 et -5 000 avant notre ère), tout change.
L’humain devient sédentaire, cultive la terre, élève du bétail.
Cette transformation crée de nouveaux enjeux :
la propriété (qui possède quoi ?)
la filiation (qui hérite de quoi ?)
la stabilité du foyer (qui vit avec qui ?)
Le mariage apparaît alors comme une institution sociale utile pour organiser la reproduction, la transmission et la cohésion du groupe.
C’est un contrat entre familles, bien plus qu’un engagement personnel.
Les premières traces écrites de mariage remontent aux tablettes mésopotamiennes (environ -2300 av. J.-C.).
On y trouve déjà des contrats de mariage fixant la dot, les obligations et les droits de chacun.
En Égypte, le mariage est aussi un contrat civil, régi par des documents juridiques : on y parle de propriété partagée et d’héritage organisé.
Chez les Grecs, le mariage (gamos) vise avant tout à produire des héritiers légitimes pour assurer la continuité de la cité.
L’amour n’entre pas en ligne de compte ; les mariages sont arrangés par les familles.
Chez les Romains, le mariage (matrimonium) est un contrat social reconnu par l’État.
Il confère des droits légaux, notamment en matière d’héritage et de citoyenneté.
La fidélité féminine est essentielle pour garantir la filiation, tandis que la fidélité masculine reste secondaire.
À partir du haut Moyen Âge, le christianisme s’impose progressivement en Europe et transforme la nature du mariage.
Au XIIᵉ siècle, l’Église en fait un sacrement : le mariage n’est plus seulement un contrat civil, c’est une union devant Dieu, indissoluble et régie par la morale chrétienne.
Le mariage doit alors remplir trois fonctions :
assurer la procréation légitime,
éviter le péché sexuel (la luxure),
et symboliser l’union spirituelle entre le Christ et l’Église.
Malgré cette sacralisation, le mariage reste une affaire de familles et d’intérêts.
Les unions sont arrangées pour consolider les alliances, protéger les terres ou améliorer la position sociale.
Le consentement des époux devient théoriquement obligatoire, mais dans les faits, il est souvent formel.
Les sentiments amoureux, lorsqu’ils existent, sont relégués hors du mariage, dans la littérature de l’amour courtois : un idéal poétique, souvent adultère, qui exalte la passion impossible.
Le XVIIIᵉ siècle marque une révolution des idées.
Les philosophes des Lumières défendent la liberté individuelle, la raison et le droit au bonheur.
Ces valeurs se répercutent sur la vision du mariage.
Des penseurs comme Rousseau, Diderot ou Voltaire commencent à remettre en cause les mariages d’intérêt imposés.
Ils affirment que les individus doivent choisir librement leur partenaire et que l’amour est une force naturelle et morale.
Dans La Nouvelle Héloïse (1761), Jean-Jacques Rousseau raconte l’histoire d’un amour sincère qui défie les conventions sociales.
Ce roman marque une rupture : le mariage n’est plus seulement une affaire de raison ou de religion, mais aussi une affaire de cœur.
Les écrivains et les philosophes dénoncent la froideur des mariages convenus.
Diderot, dans ses lettres et dans Jacques le Fataliste, se moque des unions sans amour et vante la sincérité des émotions.
L’idée se répand que le bonheur conjugal doit être fondé sur la tendresse réciproque et le respect mutuel.
Cette évolution reste surtout idéologique : dans la réalité, la plupart des mariages continuent à suivre les logiques économiques et sociales.
Mais les mentalités changent — et c’est une transformation profonde.
À la fin du XVIIIᵉ siècle et au début du XIXᵉ, le romantisme prend le relais des Lumières.
Là où les philosophes parlaient de raison et de morale naturelle, les romantiques exultent la passion, la sensibilité et la révolte contre les contraintes sociales.
Dans les œuvres de Goethe (Les Souffrances du jeune Werther, 1774), de Chateaubriand (René, 1802) ou plus tard de Victor Hugo, l’amour devient absolu, presque sacré — une valeur supérieure à toutes les autres.
Le mariage d’amour devient l’idéal moral, même si la réalité sociale reste plus nuancée.
Avec la Révolution française (1789), l’État civil remplace l’Église dans la gestion du mariage.
Le mariage devient un contrat entre citoyens libres, et le divorce est même autorisé en 1792.
Pour la première fois, le mariage est défini non plus par la naissance ou la religion, mais par le consentement mutuel.
Cette laïcisation du mariage ouvre la voie à une conception moderne :
l’union n’est plus une affaire de famille ou de clan, mais une décision personnelle entre deux individus.
L’amour devient la justification légitime du mariage.
Pendant des millénaires, le mariage a été un instrument d’organisation sociale :
il garantissait la filiation, stabilisait les alliances et protégeait les patrimoines.
Mais à partir du XVIIIᵉ siècle, les idées de liberté, d’individualité et d’amour sincère ont profondément modifié sa signification.
Aujourd’hui encore, le mariage porte cette double mémoire :
celle du contrat social ancien, hérité des civilisations agricoles et religieuses,
et celle du rêve romantique, né des Lumières et du romantisme.
Loin d’être une invention récente, le mariage est le résultat de milliers d’années d’évolution sociale et culturelle, où la logique du clan a lentement cédé la place à la logique du cœur.